Les animaux peuvent-ils prédire les séismes ?

Éléphants en fuite, pandas qui s’affolent quelques minutes avant le séisme… Les animaux seraient-ils champions de la prédiction et renifleurs de séismes ? Et comment expliquer qu’ils fassent mieux que les sismologues ?

La question intéresse depuis longtemps les scientifiques. Sans grande réponse, il faut bien le reconnaître. Car si certains séismes destructeurs sont connus pour avoir été anticipés par les animaux, d’autres ne l’ont pas été. Reste que les sismologues, qui ne disposent, pour l’instant, d’aucun moyen efficace de prédire les séismes, aimeraient bien comprendre sur quoi s’appuie ce sixième sens.

Bien que de nombreuses hypothèses aient été avancées, aucune n’a pu être vérifiée à ce jour. Certains pensent que les animaux détectent les gaz rares, comme le radon, émis lorsque la croûte terrestre se déchire. Ce serait le cas des poules, des oies ou des pigeons qui manifestent une grande agitation avant les tremblements de terre. D’autres suggèrent que certains animaux pourraient percevoir les variations de champ électromagnétique qui précèdent parfois les séismes. Ce serait le cas des serpents. Le ressenti de cette variation expliquerait que ces reptiles sortent de leur trou avant les premières secousses pour éviter, comme cela a été souvent observé, d’être écrasés. Une autre hypothèse serait la présence dans l’atmosphère de particules aérosols chargées qui importuneraient les animaux et les feraient adopter d’étranges comportements. Les chercheurs n’excluent d’ailleurs pas que des espèces différentes recourent à des techniques différentes pour « sentir » les séismes. Cinq jours avant le terrible séisme de Sichuan du 12 mai 2008, les rues de Mianzhu, une ville de la province chinoise durement frappée par la catastrophe, ont été envahies par une arrivée massive de crapauds. Mais des nuées de batraciens ont également été observées en d’autres lieux et d’autres circonstances. Le 10 mai 2008, deux jours avant le séisme, à Taizhou (Province de Jiangsu), une ville située à plus de 1 500 kilomètres de l’épicentre. Ou encore le 3 mai 2012, à Hubei, dans cette même province de Jiangsu. Ou encore dans le nord de la Grèce, le 27 mai 2010…

Quel est le profil des chercheurs qui s’intéressent au comportement anormal des animaux ?

Depuis 1999, seuls deux ouvrages ont été écrits sur le sujet, l’un par Ikeya, l’autre par Sheldrake.

Motoji Ikeya (1940-2006) est un physicien japonais de réputation internationale, célèbre pour ses travaux sur la datation des roches et des vestiges archéologiques. Chercheur éclectique et imaginatif, il a publié plus de 300 articles dans les meilleures revues internationales de physique et de géophysique mais n’a commencé à s’intéresser aux précurseurs sismiques qu’en fin de carrière, en 1995 après le désastre de Kobé, alors qu’il avait déjà acquis une notoriété internationale. Dans son livre consacré au sujet en 2004, Motoji Ikeya passe en revue toutes les observations consignées dans les récits et légendes populaires, sans chercher à les valider, l’entreprise étant, d’après lui, par définition impossible. Puis il décrit les expériences qu’il a lui-même effectuées en laboratoire pour tester la sensibilité des animaux à différentes sollicitations, de nature acoustique, électrique ou électromagnétique. Les résultats obtenus, pris comme tels et sans forcément vouloir les appliquer à la recherche sur les précurseurs, sont remarquablement intéressants. Ils montrent notamment que les vers de terre sortent à l’air libre quand on applique un très faible courant électrique, ou encore comment les poissons-chats (responsables des tremblements de terre dans le folklore japonais), seraient sensibles à de faibles changements du champ électromagnétique. Malgré tout, les travaux de Ikeya sont considérés avec prudence, voire sévérité, par une partie de la communauté scientifique occidentale.

Le cas de Ruppert Sheldrake est très différent, voire opposé. Né en 1942, ce biologiste anglais de réputation très contestée, est connu pour ses travaux sur le développement des sens chez les animaux et les végétaux, mais aussi pour ses livres sur la télépathie et les perceptions extra-sensorielles. Tout au long de sa carrière, il a été au centre de violentes controverses et son intérêt marqué pour les phénomènes paranormaux l’a peu à peu exclu du système. S’intéressant aux pouvoirs surnaturels des animaux, il réalise plusieurs expériences, dont la plus célèbre consiste à montrer que les chiens savent quand leurs maîtres rentrent à la maison, quelles que soient les circonstances. Après quoi, il se penche sur les comportements anormaux des animaux avant les séismes. Hélas ! Les résultats sont peu convaincants, car l’approche de Sheldrake viole un principe fondamental de la démarche scientifique, suivant lequel la vérification d’une hypothèse ne peut pas se faire à partir d’une instruction à sens unique, que ce soit à charge ou à décharge.

Chez certaines espèces animales, c’est l’ouïe qui s’est spécialement affinée. Le spectre sonore qu’elles captent est fortement décalé vers le haut ou vers le bas, ce qui leur permet d’entendre « de loin » leur ennemi. Les chauves-souris et les insectes, par exemple, perçoivent des ultra-sons inaudibles pour l’être humain. Or, on sait, grâce à des expériences de laboratoire, que les roches soumises à de fortes pressions, (comme c’est le cas lorsqu’un séisme se prépare), émettent des sons de très haute fréquence. C’est peut-être pour cette raison qu’au Sri Lanka, avant le séisme de décembre 2004, des témoins ont vu des milliers de chauves-souris quitter en plein jour, le fond de la grotte où elles étaient réfugiées, alors que ces animaux ne sortent normalement que la nuit. La perception des infra-sons serait plutôt le propre des éléphants. Ceux du Parc naturel de Yala qui ont fui leur réserve avant l’arrivée du tsunami ont peut-être perçu les sons de basse fréquence émis lors de la phase préparatoire. Reste qu’en admettant l’existence de ce sixième sens, d’autres questions continuent de se poser. Comment les animaux discernent-ils alors le « vrai » danger du « faux » quand on sait que la Terre est en permanence animée de petites secousses qui témoignent de l’activité de la croûte terrestre ? Les éléphants de Yala ont-ils fui avant, ou après, le séisme (par opposition au tsunami) ? Et pourquoi réagissent-ils alors de manière intelligente, le plus souvent adaptée au danger ? Mystère…

Quoique plausible (et très concevable d’un point de vue scientifique), cette capacité des animaux à percevoir des signes avant-coureurs est encore très peu considérée par les sismologues occidentaux. Le problème est que les scientifiques, qui ont repris à leur compte ces observations, se sont plus attachés à décrire les causes qu’à s’assurer de la réalité des faits ni des conditions dans lesquelles les observations avaient été faites, une négligence qui a discrédité leurs travaux. De ce fait, rares sont les pays où des chercheurs acceptent de travailler sur le sujet comme en Chine, où la population est formée à détecter et à signaler toute anomalie animalière, ou au Japon où des réseaux universitaires analysent le comportement des animaux, en particulier celui des poissons-chats. La très occidentale Association internationale de sismologie et de physique du globe (iaspei) n’intègre même pas le comportement animal dans sa liste de précurseurs potentiels, considérant sans doute cela comme trop populaire ou folklorique. Et en France, le désintérêt est total. Pour preuve, cette anecdote. Dans leur excellent ouvrage par ailleurs, intitulé Quand la terre tremblait (éd. Odile Jacob), Emmanuela Guidoboni et le très éminent professeur Jean-Paul Poirier, membre de l’Académie des sciences, n’hésitent pas à ironiser : « Faut-il compter le cas suivant parmi ceux de pressentiment sismique des animaux ? « Le 15 avril 1848, un tremblement de terre se manifesta à Sienne par une secousse légère, verticale et ondulatoire du Sud au Nord. Un professeur de l’université de Sienne, qui avait mal aux pieds depuis quelque temps, y ressentit un quart d’heure avant la secousse, une forte convulsion. » Un bon mot certes, mais en science, l’ironie facile n’a jamais rien fait avancer…

Source: Un crapaud peut-il détecter un séisme ? 90 clés pour comprendre les séismes et tsunamis de Louis et Hélène Géli, paru aux éditions Quæ

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