Les bactéries peuvent-elles tomber malades ?

La réponse est oui ! Les bactéries peuvent être atteintes de maladies virales, tout comme peuvent l’être les hommes, les animaux et les plantes. Retour sur cette découverte.

Été 1915. La guerre s’embourbe à l’Est. Parmi les troupes stationnées à Maisons-Laffitte attendant de remonter au front, une épidémie de dysenterie hémorragique fait des ravages. Un microbiologiste de l’Institut Pasteur, Félix d’Hérelle, est appelé auprès des soldats hospitalisés. Il pratique la mise en culture sur boîtes de Petri des prélèvements effectués sur les malades pour identifier le germe responsable. Sur certaines cultures, des zones claires apparaissent lorsqu’y sont ajoutés des prélèvements privés de bactérie par filtration. Ce phénomène avait déjà été observé par le passé, mais d’Hérelle est le premier à l’attribuer à des organismes de petite taille non arrêtés par le filtre : des virus tueurs de bactéries, qu’il nomme bactériophages.

Tout comme les hommes, les animaux et les plantes, les bactéries peuvent ainsi attraper des maladies virales et en mourir. Les virus sont des parasites obligatoires montrant une très grande spécificité pour les cellules qu’ils contaminent. Chaque espèce de bactériophage ne reconnaît qu’un seul type de bactérie. L’aspect général de la plupart de ces bactériophages rappelle vaguement celui du module lunaire américain (LEM). Une tête à facettes constituée de protéines leur sert d’enveloppe protectrice pour véhiculer l’information génétique. Celle-ci code la production des pièces détachées du virus et leur assemblage. La partie correspondant à l’étage de descente du LEM est un cylindre beaucoup moins trapu que la version lunaire. C’est en fait le corps d’une seringue servant à injecter le matériel génétique du virus dans la bactérie. Cette pièce intermédiaire se termine par six longues fibres ressemblant aux pattes d’insecte servant à l’alunissage du LEM. À leur extrémité sont fixées des adhésines qui, comme leur nom le laisse deviner, vont venir se coller à des récepteurs de surface de la bactérie cible qu’elles reconnaissent spécifiquement. Le virus fixé et son matériel génétique injecté, il va pouvoir détourner la machinerie cellulaire de la bactérie à son profit. À la suite de cet acte de piraterie, la bactérie va fabriquer une centaine de virus puis éclater. Les virus libérés, telles des mines dérivantes, vont attendre passivement de croiser le sillage d’autres bactéries pour recommencer un cycle d’infection.

D’Hérelle pressent bien vite l’intérêt thérapeutique de ces agents infectieux ne s’attaquant qu’aux bactéries. Il en absorbe un échantillon pour prouver qu’ils sont inoffensifs pour l’homme avant de les utiliser pour traiter un enfant atteint d’une forme sévère de dysenterie. Les symptômes disparaissent et l’enfant guérit rapidement. Diverses préparations de virus bactériophages furent ensuite utilisées contre des maladies bactériennes comme le choléra ou la peste bubonique avec cependant moins de succès. La découverte des antibiotiques marqua le coup d’arrêt de ces recherches dans le monde occidental. Elles continuèrent toutefois de l’autre côté du rideau de fer, en Pologne et dans les pays de l’Est. N’ayant pas accès aux avancées médicales de l’Ouest, ces pays poursuivirent leurs recherches prometteuses sur la phagothérapie. Ils gardent depuis une notable avance dans ce domaine.

Cette approche thérapeutique présente de nombreux avantages. Contrairement aux antibiotiques diffusant uniformément dans tout l’organisme, les bactériophages sont localisés là où se développe l’infection et se multiplient uniquement dans les bactéries cibles. Les possibles résistances que celles-ci pourraient développer seraient facilement contournées par l’isolement de nouvelles souches efficaces de virus. La mise au point d’un nouvel antibiotique prend par contre plusieurs décennies.

Devant l’émergence des résistances multiples aux antibiotiques, la phagothérapie peut apparaître comme une alternative. Cependant, les autorisations de mise sur le marché restent très longues et la parfaite innocuité des bactériophages devra être scientifiquement prouvée.

Visuel haut de page : Cette photo de Félix d’Hérelle (1873-1949) a probablement été prise à l’Institut Pasteur dans son laboratoire de production de bactériophages. © Institut Pasteur / archives Félix d’Hérelle

Source: Les bactéries ressemblent-elles à des saucisses cocktails ? de Jean-Jacques Pernelle, paru aux éditions Quæ

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