Conférence de Guillaume Lecointre sur Les sciences face aux créationnismes

Pourquoi l’évolution révolte-t-elle les créationnismes ?

Si l’évolution est contestée par les partis politiques européens traditionalistes, par les marges les plus conservatrices des trois grands monothéismes, c’est qu’elle commet trois grandes transgressions, à leurs yeux.

La première est qu’à travers le phénomène de l’évolution biologique et humaine, les sciences s’émancipent vis-à-vis de l’essentialisme qui est le fondement philosophique de la plupart des conservatismes. Expliquons-nous. Les partis européens hostiles à l’évolution sont en même temps hostiles au féminisme, hostiles à l’euthanasie, hostiles à l’utilisation de cellules souches embryonnaires à des fins thérapeutiques, hostiles à l’homosexualité. Il n’existe aucun rapport entre le féminisme, l’homosexualité, l’évolution, l’euthanasie, et l’utilisation des cellules embryonnaires humaines. Par contre, tous ces motifs heurtent une même représentation du monde où les entités biologiques, voire sociales, portent une essence dont l’origine les transcende.

En effet, pour ces partis politiques, c’est parce que la femme est d’une essence différente de celle de l’homme que ses droits sont conçus comme différents de ceux de l’homme. Une cellule souche embryonnaire, même très précoce, est conçue comme d’essence humaine ; il devient dès lors sacrilège de dérouter son devenir même dans un but louable. L’homosexualité contrevient aux essences assignées. L’évolution des espèces aussi : lorsque l’on passe progressivement d’une espèce à une autre, on rompt les essences. Buffon, qui pratiquait les sciences naturelles en nominaliste (Roger, 1993 ; Hoquet, 2007), l’avait pressenti et resta à la marge d’un véritable transformisme affiché.

En fait, c’est bien parce qu’il avait rompu avec l’essentialisme que Charles Darwin (1859) a pu porter son attention sur la variation à l’intérieur de l’espèce, découvrant ainsi le « carburant » de l’évolution, et les espèces devenant des conventions de langage associées au constat de barrières à la reproduction. L’Origine des espèces est un livre qui parle plus de l’origine épistémologique de l’espèce que de son origine biologique, et pour cause : les espèces ne sont pas dans la nature. Dans la nature se mettent en place des barrières à la reproduction entre populations. Les espèces sont délimitées par nous sur la base de conventions taxonomiques précises. Le scandale théologique était consommé ; et il reste encore aujourd’hui un scandale, même chez des zoologistes aussi éminents qu’Ernst Mayr qui promouvait encore au milieu du XXe siècle un essentialisme en biologie (Mayr, 1969).

On aura compris que toute posture politique visant à privilégier la liberté des choix individuels et à refuser l’assignation des individus à des essences autoritairement posées sera combattue par les partis conservateurs. La récente attaque de Christine Boutin, dans sa lettre au ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel, contre l’enseignement de la théorie du genre qui présente l’identité sexuelle comme un choix et non une donnée divine, en est une illustration récente. Le féminisme et la reconnaissance de l’homosexualité sont en partie fondés sur le refus que l’individu soit enfermé dans une case d’origine transcendante qui régirait ses postures, droits et devoirs. Il doit bien y avoir des droits et des devoirs, mais ceux-ci doivent être dictés dans un contexte laïque, où la liberté d’opinion est garantie et où nul ne peut être inquiété pour ses options métaphysiques et ses orientations intimes dans la sphère privée, tant que celles-ci ne troublent pas l’ordre public. C’est bien de la laïcité dont ne veulent pas les partis conservateurs européens ; et ils militent tous pour que les religions puissent intervenir dans la sphère publique.

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Les deuxième et troisième transgressions (respectivement l’acceptation tranquille du hasard et la description de l’évolution sans notion de destin) sont expliquées dans le livre.

 

Visuel haut de page : Colloque de Guillaume Lecointre sur Les sciences face aux créationnismes en mai 2012 © Université Populaire de Philosophie de Toulouse

Source : Les sciences face aux créationnismes, nouvelle édition de Guillaume Lecointre, paru aux éditions Quæ

Les sciences face aux créationnismes, nouvelle édition

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