La couleur peut-elle modifier le goût ?

Pensez-vous que le goût du pain serait différent si la mie et la croûte étaient vertes, si le fromage était rose ou si le vin était bleu ? Eh bien oui ! On sait que la couleur des aliments a un impact important sur la perception de la flaveur.

De nombreuses études ont été menées pour le démontrer scientifiquement. Prenons l’exemple du vin, assez emblématique car sa dégustation suit un protocole très codifié, qui emprunte à tous les sens impliqués dans le goût. Elle commence par une description analytique de son aspect visuel. Vient ensuite une description des arômes volatils, puis des propriétés gustatives de la boisson. Enfin, se fait la mise en bouche. Cette dégustation est accompagnée de nombreux commentaires, où l’on emploie des termes plus ou moins précis et adéquats. Il se trouve qu’une étude, conduite en collaboration entre l’université de Bordeaux et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) de Montpellier, a montré que la simple couleur d’un vin pouvait modifier sa perception olfactive. Dans cette étude publiée en 2001, les chercheurs ont proposé à 54 dégustateurs avertis de goûter deux verres de vin. Un premier verre contenait du vin blanc, alors que le second contenait le même vin blanc, mais teinté en rouge avec un colorant de goût neutre. Tout ça, bien entendu, à l’insu du groupe d’experts. Les chercheurs ont observé que les dégustateurs faisaient —  très logiquement  — des commentaires avec des qualificatifs de vin blanc pour le premier verre, mais que ces qualificatifs empruntaient radicalement le vocabulaire du vin rouge pour le deuxième verre, lui trouvant les caractéristiques olfactives de ce dernier. Cette expérience montre à quel point la couleur peut tromper jusqu’à des œnologues avertis. Les prétentions d’expertise chimiosensorielle des dégustateurs en ont pris un sacré coup ce jour-là !

D’autres études scientifiques ont montré, cette fois-ci, que l’intensité de la couleur ou la teinte pouvait modifier la saveur perçue. Par exemple, plus un sirop de fraise est rouge écarlate, plus il semble sucré, alors que la quantité de sucre est identique. Dans une autre expérience, les chercheurs ont fait goûter à des volontaires trois citronnades strictement identiques sur le plan gustatif, mais teintées avec différents colorants. L’une était jaune pâle, l’autre brune et la dernière rose. On a ensuite demandé aux participants de décrire la saveur de chacune d’elles. La majorité a décrit des saveurs différentes pour les différents sodas. Ainsi, la couleur des aliments altère aussi la perception de leur saveur. La couleur jaune renforce la saveur du citron, le vert celle de la menthe, le bleu semble augmenter la saveur salée ou le côté désaltérant, quand la couleur rose renforcera la sensation de saveur sucrée…

Les publicitaires savent bien que même le choix de couleur de l’emballage peut influencer le client sur l’idée qu’il se fait de la saveur du produit. Ainsi, une boisson à base de citron sera perçue avec un goût plus citronné si la composition graphique de l’emballage présente du jaune.

Enfin, même des aliments traditionnels peuvent soudain se parer de couleurs insolites, quitte à bousculer les habitudes culturelles… lorsqu’elles ne sont pas infranchissables. Pour preuve ces pains de couleur verte ou bleue que l’on peut trouver aux États-Unis et au Canada et qui seraient inconcevables chez nous ! Reste à savoir ce que le consommateur pense y trouver de différent…

 

Vive le détail ! Les arts de la table influent aussi sur le goût !

La couleur de la vaisselle possède son propre impact sur la perception de la saveur. Une étude, conduite par Betina Piqueras-Fiszman de l’université de Valencia et Charles Spence de l’université d’Oxford, a consisté à faire goûter à 57 volontaires européens un même chocolat chaud servi dans quatre tasses de couleurs différentes. Cette étude, publiée en 2012, a montré que le chocolat chaud semblait meilleur dans une tasse orange ou crème, que lorsqu’il était servi dans une tasse rouge ou blanche. Les informations visuelles ont donc un impact très important sur la perception du goût. Autre exemple  : une étude, publiée en 2013 par Vanessa Harrar et (toujours) Charles Spence de l’université d’Oxford, a montré, à travers plusieurs expériences, l’influence du poids, de la taille, de la couleur et de la forme de la cuillère sur la perception du goût d’un yaourt, dans sa globalité. Par exemple, du yaourt sera perçu comme plus dense et plus savoureux, avec une cuillère en plastique qu’avec une cuillère métallique. De plus, il apparaîtra plus ou moins doux, selon le contraste entre la couleur de la cuillère et celle du yaourt. Ainsi, du yaourt blanc consommé avec une cuillère blanche sera jugé plus sucré alors qu’il apparaîtra plus salé, avec une cuillère bleue ou rouge. Avant que les chercheurs le démontrent scientifiquement, les restaurateurs l’avaient déjà remarqué. Ils savent que la nature des couverts et de la vaisselle influe fortement sur la perception du goût des aliments. Mais on continue à en découvrir les phénomènes : les arts de la table, bien qu’issus de longues traditions, n’ont pas fini d’évoluer !

La couleur des tasses n’est pas si anodine puisqu’elle modifiera la perception de la saveur d’un chocolat chaud, par exemple. © Pixel-Shot/Adobe Stock.

 

Visuel haut de page : La couleur des aliments a un impact important sur la perception de la flaveur, quand bien même les colorants alimentaires les plus vifs seraient neutres en goût © exclusive-design/Adobe Stock

Source : Le goût, une affaire de nez ? de Loïc Briand, paru aux éditions Quæ

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