Chacun l’a remarqué à son échelle : la perception du goût varie énormément d’un individu à un autre, mais aussi d’une population à une autre.
Par exemple, de nombreuses données, issues de l’analyse sensorielle (qu’on qualifie aussi de psychophysique), montrent des différences de seuil de perception très importantes parmi les sujets humains. Ainsi, pour le saccharose, les seuils de perception varient d’un facteur 10 en concentration dans l’ensemble de la population française. Ce seuil peut même varier au cours de la journée en fonction de l’état physiologique du sujet, notamment par son état de faim ou de satiété. De plus, on a montré que la sensibilité varie pour un même sujet en fonction de la saveur testée.
Des travaux récents montrent que certaines hypogueusies (faible sensibilité gustative à certains composés) peuvent être associées à des mutations génétiques qui affectent les récepteurs et qui abaissent leur capacité à détecter les composés sapides. Quant aux agueusies (perte totale de la sensibilité gustative), elles peuvent résulter d’une perte ou d’une invalidation du gène impliqué dans le goût. Ainsi, chez la souris, une mutation du gène codant un des modules (TAS1R2) du récepteur au goût sucré a été associée à une préférence pour la saccharine. Chez l’être humain, nous ne sommes pas non plus égaux génétiquement pour percevoir certaines molécules amères ou umami (L-glutamate), comme cela a clairement été démontré.
Un des meilleurs exemples de ces différences innées est sans doute le phénylthiocarbamide (PTC). Derrière ce nom à rallonge se cache un composé synthétique qui n’est pas perçu comme amer par une grande proportion de la population. Dès les années 1930, cette incapacité ou non de goûter le PTC a été identifiée comme un caractère héréditaire « simple », comme c’est le cas pour la couleur des yeux ou des groupes sanguins. En 2003, une équipe américaine dirigée par Dennis Drayna a montré que le gène codant un récepteur au goût amer (appelé TAS2R38) était responsable de ces différences de perception. De plus, ces travaux ont révélé que les proportions d’individus étant « équipés » en ces formes de récepteurs différaient considérablement d’une population à l’autre. Ainsi, environ 50 % des Européens sont insensibles au PTC contre 30 % des Asiatiques et seulement 1,4 % des Indiens Papago d’Amazonie. Ces variations génétiques peuvent avoir un impact sur notre régime alimentaire et expliquer en partie nos préférences pour certains aliments amers.
Les brocolis, choux-fleurs et choux de Bruxelles : une préférence dictée par la génétique ?
Certains légumes comme le chou-fleur, les brocolis ou les choux de Bruxelles sont loin de faire l’unanimité dans nos assiettes. Si certains ne les aiment pas et d’autres les apprécient, cela pourrait être à cause de nos gènes. Ces légumes crucifères contiennent des composés amers, tels que la goitrine et la sinigrine. Or l’amertume de ces composés peut être perçue différemment d’une personne à une autre et être à l’origine de choix et de préférences alimentaires.
Plusieurs études ont permis d’établir un lien entre le génotype et le type de légumes consommés. On a montré que le statut de « supers goûteurs » est associé à une plus faible préférence pour le chou vert, les épinards et les choux de Bruxelles. Pour eux, dont le génotype du récepteur TAS2R38 contient le variant PAV, ces légumes crucifères paraîtront amers. En revanche, les individus dont le génotype du récepteur TAS2R38 contient le variant AVI (non-goûteurs) ne ressentiront pas d’amertume et ne seront pas rebutés. Est-ce que ce ne serait pas nos gènes qui dictent parfois le menu ?
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Source : Le goût, une affaire de nez ? de Loïc Briand, paru aux éditions Quæ