Agriculture et élevage dans la tourmente du réchauffement climatique

Le réchauffement climatique impacte de manière plus ou moins forte les productions agricoles à travers le monde.

Disparition à terme des champs de maïs irrigués et des grands crus du Bordelais ? Fin de l’arabica en Afrique ? L’agriculture et l’élevage seraient ils eux aussi victimes du réchauffement climatique ? Assurément. L’agriculture est en première ligne des impacts du changement climatique et, avec elle, c’est la sécurité alimentaire mondiale qui est menacée. Beaucoup de pays s’adapteront et d’aucuns pourraient même en tirer profit avec l’amélioration de rendements de certaines cultures. Mais les communautés les plus pauvres et celles vivant sur des terres vulnérables, comme les deltas ou les plaines côtières, pourront être exposées à de nouveaux risques. Selon le dernier rapport du Giec, les rendements des cultures de base (blé, maïs et riz) pourraient être ralentis de 2 % par décennie alors que, pour répondre à la demande alimentaire mondiale, il faudrait au contraire augmenter la production de 14 % par décennie !

D’autres études confirment ces pronostics. Celle du Climate Change Agriculture and Food Security estime qu’au niveau mondial la production de blé, de riz et de maïs pourrait être freinée de 13 à 20 % d’ici 2050. La production de la pomme de terre serait, elle aussi, affectée. L’incertitude tient au fait que certaines cultures, le blé par exemple, souffrent de la hausse des températures, tout en appréciant l’augmentation de la teneur en CO2 dans l’atmosphère, qui vient booster leur photosynthèse. Cela suffira-t-il à compenser l’excès de chaleur, qui réduit la durée de végétation, et jusqu’à quand ? Cette question est au cœur du débat aujourd’hui. En attendant, et pour mieux anticiper l’avenir, la Food and Agriculture Organization (FAO) incite depuis quelques années tous les petits paysans (notamment producteurs de riz ou de maïs) à se tourner vers d’autres cultures moins gourmandes en eau comme les pois, les lentilles, le mil ou le sorgho.

Nous pourrions manquer d’un certain nombre de produits importés, mais l’Hexagone devrait s’en sortir mieux que bon nombre de pays du Sud. En France, selon les régions, le dérèglement a entraîné des impacts déjà bien visibles sur la production agricole. Bénéfiques pour l’instant à certaines productions (comme le colza ou la betterave, qui profitent de l’augmentation du CO2, ou le sorgho que l’on a vu remonter au nord1), défavorables pour d’autres (comme le blé tendre).

Comment cela se traduit-il ? La température étant le facteur clé de l’agriculture, tous les stades « normaux » de développement des plantes sont affectés par le réchauffement : formation des bourgeons, floraison, maturité. En vingt ans, le blé français a avancé pratiquement d’une semaine dans son développement. La vigne, elle, s’est décalée de 20 à 40 jours en avant depuis cinquante ans, avec des vendanges désormais programmées début septembre (et quelques variations selon les terroirs). Même constat pour les pommiers ou les abricotiers, dont les fleurs éclosent plus tôt. Conséquences ? Le calendrier des pratiques agricoles a dû être avancé partout depuis deux décennies. Il faut semer plus tôt et récolter plus tôt : dans la plupart des régions, les semis de printemps ne se font plus fin avril mais fin mars.

Ce raccourcissement du nombre de jours pendant lesquels les plantes peuvent capter le rayonnement solaire (qui assure la photosynthèse), cumulé parfois au manque d’eau, a évidemment des conséquences sur les rendements. Le blé a vu ses rendements stagner en France depuis 1998 (année record), principalement à cause des sécheresses accrues au printemps et des températures élevées à partir de la floraison. Au-delà de 25 °C, le poids des grains par épi diminue et le grain lui-même perd en qualité. Une seule journée avec un pic à 25 °C pendant la période de remplissage du grain suffit à provoquer des effets négatifs sur les cultures. Le grain est moins bien rempli, atrophié : c’est « l’échaudage », une sorte de malformation physiologique. La canicule de 2003, par exemple, a causé une réduction de la production de l’ordre de 20 % à 30 % selon les cultures en France. Celle qui a affecté la Russie en 2010 (avec pour conséquence une chute de rendement de près d’un tiers) a entraîné un arrêt des exportations et une flambée des prix dramatique pour les pays les plus pauvres.

Certaines régions ont, à l’inverse, profité de ces changements. C’est le cas de l’Europe du Nord, dont les rendements sont, pour certaines productions, montés en flèche. Sous l’effet de la chaleur, les suppléments de production ont été chiffrés à 25 % pour la betterave sucrière en Irlande, et à 12 % pour le colza en Finlande ! Depuis quelques années, le vignoble de Denbies, à 30 km de Londres, est devenu un grand producteur de vins pétillants, vinifiés à la manière champenoise. Avec des hivers plus doux et des étés plus chauds, le site figure parmi les visites touristiques les plus prisées de la région. L’Europe du Nord, avec plus de chaleur et d’humidité, devrait voir ses rendements s’envoler là où l’Europe du Sud risque fort d’être pénalisée.

L’élevage souffre également de ces hausses de températures et de ces sécheresses. Non seulement la chaleur nuit à la productivité des prairies en été, donc à la disponibilité des ressources alimentaires pour les ruminants, mais elle pourrait favoriser aussi l’émergence de nouvelles maladies, d’origine tropicale le plus souvent. Par ailleurs, on sait maintenant qu’exposés à la canicule, les animaux réduisent leur prise alimentaire, que leur productivité diminue et leur mortalité augmente. Une vache laitière de France commence à réduire sa production de lait dès que la température moyenne dépasse 20 °C ! Et un porc de gros format, sa production de viande. En 2006, plus de 700 000 volailles et 25 000 vaches laitières sont mortes en Californie pendant la vague de chaleur estivale. Au cours de l’été 2003, certaines régions françaises sont retrouvées dans la situation de devoir abattre leurs bêtes faute de ressources fourragères suffisantes.

1 : Longtemps cantonné aux régions Sud, il est planté désormais dans le centre de la France ou en Poitou-Charentes.

Source: Le changement climatique. Ce qui va changer dans mon quotidien d’Hélène Géli, avec la collaboration de Jean-François Soussana, paru aux éditions Quæ

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