Triche, tromperie et pollinisation

La pollinisation implique une relation équilibrée : la plante abrite et nourrit le pollinisateur tandis que ce dernier la féconde. Mais parfois, l’un ou l’autre ne remplit pas sa part du contrat.

Pourquoi une plante ou un pollinisateur auraient-ils intérêt à ne plus rendre ce service ? Pour des raisons d’économie, parce que souvent ce service rendu coûte des ressources, des efforts ou du temps. Il peut être très rentable pour l’un des deux partenaires de diminuer son investissement dans ce service tout en continuant à bénéficier du service rendu par l’autre partenaire. Pour parler trivialement, il peut être très intéressant de tricher, de tromper ou de duper l’autre. Et dans ce domaine comme dans bien d’autres, la nature a eu beaucoup d’imagination.

Les bourdons fainéants
Certaines fleurs à corolles profondes et étroites sont adaptées à la pollinisation par des espèces robustes capables de forcer l’entrée et d’écarter les diverses pièces gênant l’accès au nectar. À cette occasion, les insectes se chargent de pollen ou le déposent sur le stigmate de la fleur. C’est le cas par exemple des fleurs en cloche de la consoude officinale qui pousse dans les prairies humides et au bord des eaux. Mais forcer le passage à chaque visite d’une fleur demande des efforts et du temps. Certains insectes, notamment de gros bourdons comme le bourdon terrestre aux mâchoires puissantes, percent un petit trou à la base de la corolle. Ils peuvent passer leur langue et puiser le nectar sans avoir besoin de forcer la fleur, travaillant ainsi plus vite.

Si l’avantage pour l’insecte est évident — gain de temps et moins d’effort à fournir donc meilleur rendement du butinage — la fleur perd beaucoup dans l’histoire. Elle consacre toujours une partie de ses ressources à produire le nectar mais cette récompense est offerte en pure perte aux insectes puisqu’ils n’assurent plus le travail de pollinisation. Car si seules quelques grosses espèces de bourdons ou d’abeilles charpentières peuvent percer ces « raccourcis à nectar », la plupart des autres visiteurs, comme l’abeille mellifère, les repèrent vite et les utilisent aussi. La relation, mutualiste au départ, devient donc antagoniste, les anciens pollinisateurs devenant des parasites de la plante.

Ce parasitisme est largement répandu parmi les pollinisateurs suffisamment bien équipés pour le pratiquer. Les papillons à la trompe déroulante ou les mouches à la langue lécheuse sont bien incapables d’y recourir, mais les oiseaux nectarivores munis d’un bec acéré pratiquent aussi la technique du raccourci. Ainsi le colibri à gorge rubis, le plus commun des oiseaux-mouches vivant au Canada, butine les fleurs en tube locales comme les monardes ou les ancolies, au fond desquelles sa langue agile s’insinue pour lécher le liquide sucré. Mais quand ces fleurs sont trop profondes, dans le cas du lis tigré par exemple, une plante des jardins originaire d’Asie, il n’hésite pas à perforer la base du calice pour accéder au nectar.

À tricheur, tricheuse et demie
Le palmier nain est le seul palmier présent naturellement en France, sur le littoral méditerranéen du Languedoc et de la Provence. Depuis le XIXe siècle, il a été largement planté dans les jardins du Midi ainsi que sur le littoral atlantique où il se trouve jusqu’en Bretagne et en Cornouailles. C’est une espèce dioïque, et son seul pollinisateur connu est un coléoptère, un charançon du nom de Derelomus chamaeropis. Les adultes mangent le pollen des arbres mâles, et les larves rongent l’intérieur des tiges desséchées des fleurs des arbres mâles. L’insecte ne porte donc quasiment aucun préjudice à la plante, ce n’est pas un antagoniste mais plutôt un recycleur de la matière végétale morte.

Mais ne se nourrissant, à tous les états de son développement, que sur les arbres mâles, il n’a rien à faire sur les arbres femelles. Donc il ne devrait pas les polliniser. Or, les feuilles des palmiers nains mâles émettent, quand leurs fleurs sont mûres, c’est-à-dire quand leur pollen va être libéré, une odeur très attractive pour les charançons qui trouvent ainsi à la fois un restaurant où s’alimenter et un lieu de ponte. Et les feuilles des arbres femelles émettent exactement la même odeur. Les femelles charançons à la recherche d’un endroit où pondre viennent alors prospecter leurs fleurs. En pure perte, puisque ces sites ne conviennent pas, mais au passage elles ont pollinisé les fleurs, si elles sont d’abord passées par les pieds mâles.

Dans l’affaire, il y a tricherie de la part de l’arbre, puisque la fleur femelle ne rend aucun service au charançon. Mais elle se contente de lui voler un peu de son temps et de son énergie. En fait, ce n’est qu’une demi-tromperie, ou plus exactement une tromperie apparente, car cette fleur rend un immense service à l’insecte : en produisant des graines, elle assure la pérennité du palmier nain. Donc du charançon, puisque c’est son unique source de nourriture à l’état adulte comme à l’état de larve. Les ruses de la nature pour parvenir à ses fins sont infinies.

Visuel haut de page : Le petit trou servant de raccourci à nectar est bien visible à la base de la corolle de plusieurs fleurs de consoude. ©Vincent Albouy

Source: Pollinisation de Vincent Albouy, paru aux éditions Quæ

 

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