Un philosophe soutiendrait que tout ce qui existe a un avenir, mais dans le cas des carnivores la question essentielle est de savoir s’il sera celui que nous leur souhaitons.
La grande malchance des carnivores (et de tous les êtres vivants) est d’avoir croisé notre route. Force est de constater que les plus grandes espèces sont quasiment partout en butte à notre présence envahissante et intolérante. Nous n’avons toujours pas appris à vivre avec elles, nous les voyons toujours comme des concurrents et nous continuons parfois à les immoler sur l’autel de notre progrès. Existe-t-il des raisons d’espérer un changement radical prochain ? Nous ne sommes franchement guère optimistes… Lions, tigres, pumas et autres panthères seront toujours plus confrontés à la réduction de leur habitat et à la promiscuité avec notre espèce. Que cela entraîne quelques accidents n’est pas douteux, et nous partirons alors en guerre contre les tueurs intolérables. Car la vérité est là, nous sommes prêts à pardonner bien des morts à nos lubies technologiques, mais aucune aux grands carnivores. Les espèces de moyenne et petite taille sont à l’aune des grandes, leur espace se réduit, leurs rapines sur notre élevage en font des nuisibles, et leurs proies disparaissent, victimes de nos inconséquences. La distance à parcourir pour que nous devenions raisonnables est grande, nous devons être meilleurs, plus convaincus que jamais que tous les êtres qui animent la biosphère sont nos partenaires dans son maintien. C’est cette prise de conscience, et elle seule, qui garantira à long terme un avenir à ces merveilles vivantes que sont les carnivores.
En dépit de tout ce qui a été colporté à leur égard, les carnivores doivent continuer d’exister et de nous accompagner dans la grande aventure de la vie. Ils tuent pour se nourrir, mais sans connaître la méchanceté. Leurs proies ne sont pas des ennemies, mais seulement la nourriture qui leur est nécessaire. Nous admirons les grandes espèces, nous envions leur port altier, leur fière silhouette, mais nous les traquons comme si nous ne supportions pas qu’elles se posent en concurrentes. Les carnivores participent à l’équilibre des communautés animales, ils participent au maintien de l’état de santé des populations de proies. Ils constituent un niveau essentiel de transfert de l’énergie à l’intérieur des chaînes alimentaires. Les conséquences de leur éventuelle disparition sont difficiles à évaluer, mais nul doute qu’elles seraient désastreuses sur l’ensemble des communautés biologiques. Toutes ces raisons empruntées à l’écologie sont déjà suffisantes en soi, mais il en est d’autres, affectives, tout aussi estimables. Renards, lynx, panthères, ours et autres peluches sont les compagnons de notre enfance, ils sont nos amis, ils nous rassurent.
Comment imaginer que nous ne fassions rien pour protéger leurs frères de chair ? Nous avons besoin plus que jamais de beauté, et les carnivores nous la fournissent… Là ne s’arrête pas leur enseignement, les carnivores sont puissants, souples, rapides, précis, autant de qualités que nous leur envions, mais par-dessus tout ils sont forts. Ils n’abusent pas de leur force, elle est un outil de survie et non de conquête, ils nous apprennent en quelque sorte la magnanimité, qualité qui nous fait trop souvent défaut. Enfin, nous devons protéger les carnivores simplement parce qu’ils sont beaux et que cette beauté nous enrichit.
Reste que le chemin est long pour assurer le devenir des carnivores. Bien des préjugés, des superstitions, des frayeurs et des intérêts mal compris sont à vaincre, et ceci nous demandera de grandes qualités. Pour paraphraser le professeur Jean Dorst, nous avons moins besoin des carnivores que des qualités nécessaires pour les sauver.