Météo-sensible comme la pomme de pin

Qui n’a jamais fait l’expérience de ramasser une pomme de pin fraîchement tombée en forêt ou dans un jardin et de constater, une fois rapportée chez soi, qu’elle s’ouvrait et se fermait suivant les changements de temps ? Des scientifiques s’inspirent de ce principe pour créer des matériaux intelligents.

Lorsqu’une pomme de pin est placée dans un environnement sec et chaud, ses écailles se courbent et elle s’ouvre. Si on la met sous l’eau durant quelques minutes, ses écailles se replient et elle se referme. Autrefois, la pomme de pin servait ainsi d’indicateur d’hygrométrie, renseignant sur le taux d’humidité de l’air.

Dans la nature, cette propriété a une fonction bien précise. La pomme de pin est un fruit, dont chaque écaille renferme deux graines munies de petites ailes. Par temps sec, ces écailles s’ouvrent afin de libérer les graines et permettre leur dissémination. Par temps humide, elles se referment pour mieux les protéger. On observe le même mécanisme au niveau des épis de blé.

Selon leur emplacement dans la pomme de pin, les écailles ont des tailles et des formes différentes. Elles possèdent elles-mêmes deux zones distinctes : le corps principal qui est la partie haute et, à la base, une zone appelée charnière. C’est cette dernière zone qui pilote la réponse en fonction du taux d’humidité. Le fait que l’écaille se courbe sous l’action de la chaleur, tout comme le sens pris par cette courbure, indiquent que la partie extérieure de l’écaille, au niveau de la charnière, se rétracte plus que la partie intérieure. La face extérieure devient alors plus petite que la face intérieure.

Les scientifiques de l’Institut de recherche Dupuy-de-Lôme, Antoine le Duigou et Mickaël Castro, parlent dans ce cas d’actionneurs hygromorphes dont le mouvement est déclenché par un gradient d’humidité. Quels sont les phénomènes structurels qui actionnent ce mouvement ? Ces mécanismes sont-ils liés à la composition biochimique des écailles ?

Une écaille de pomme de pin, observée au microscope, s’avère constituée à 35 % de fibres sclérenchymes et à 65 % de fibres sclérides. Ces deux types de tissus ont des propriétés hygro-élastiques différentes. Les sclérenchymes sont rigides tandis que les sclérides se déforment en fonction de la teneur en eau. On peut comparer cette micro-architecture à un bilame, c’est-à-dire aux instruments utilisant la différence de dilatation thermique de deux lames de métal en fonction de l’humidité, et qui servaient, au XVIIIe siècle, à estimer la température.

Au niveau chimique, ces fibres sont constituées de deux types de polymères : des polyosides (sucre) — comme la cellulose, les hémicelluloses et les pectines — riches en groupements « hydrophiles » (qui attirent l’eau), et des polyphénols — comme les lignines — plus « hydrophobes » (qui repoussent l’eau). La répartition des tissus ainsi que leur composition biochimique ne sont pas les mêmes sur toute la longueur des écailles. On trouve plus de polymères « hydrophiles » dans la zone charnière que dans le corps principal, ce qui induit plus d’interaction avec les molécules d’eau au niveau de cette zone, et c’est pourquoi cette dernière se rétracte.

Copiant ce principe, les scientifiques ont mis au point des matériaux intelligents basés sur l’usage de matériaux composites renforcés par des fibres végétales (fibres de lin), qui sont de plus écoconçus, recyclables ou compostables en fin de vie. L’architecte Achim Menges, de l’université de Stuttgart, dont tous les travaux sont bio-inspirés, a, lui, réalisé un pavillon expérimental et météo-sensitif appelé Hygroskin. Cet espace est un assemblage de 28 panneaux de tailles différentes et concaves composés de plusieurs strates de bois de bouleau prenant en sandwich un matériau composite fait de microfibres. Ce matériau amplifie la réaction du bois à l’humidité. Des ouvertures de forme conique, constituées de lamelles en contreplaqué de 4 mm, ont été installées au centre de chaque panneau. Ces ouvertures fonctionnent sur le même principe que l’ouverture et la fermeture des pommes de pin. La présence d’eau dans la trame des rainures du bois modifie la distance entre chaque microfibre — les dilatant ou les resserrant — et provoque l’ouverture ou la fermeture des orifices.

Projet Hygroskin : un pavillon
d’architecture dont les ouvertures
en bois composite réagissent
aux changements d’humidité. – © ICD University of Stuttgart

Ce bâtiment, dont la peau respire, réagit à la manière d’un organisme vivant. Son mécanisme hygroscopique ne nécessite aucune énergie : il est entièrement animé par le climat, changeant naturellement. Lorsque le taux d’humidité relative est de 40 %, c’est-à-dire quand l’air est à 40 % de sa saturation en humidité, les orifices sont ouverts. Lorsque le taux d’humidité augmente, les orifices se referment. À 85 %, ils sont complètement fermés.

 

Dans le domaine de l’architecture, l’apport du biomimétisme conduit à des smart materials, des matériaux intelligents capables de changer leur caractère physique ou leur aspect selon les conditions de chaleur, d’humidité, de pression, de pollution ou d’exposition à la lumière.

Visuel haut de page : La pomme de pin est l’exemple d’un matériau naturel qui réagit avec son environnement. C’est la structure de ses écailles qui est la clef de cette adaptation. © pxhere

Source : Biomimétisme de Jean-Philippe Camborde, préfacé par Gilles Boeuf, paru aux éditions Quæ

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