L’alternance des cultures est-elle nécessaire à la terre ?

Sans pratiques particulières, les plantes réussissent mal sur un terrain qui vient de porter des végétaux de la même espèce, du même genre ou de la même famille. Elles sont, à l’évidence, messagères d’informations ; pour les comprendre, sachons les observer !

Ayant constaté qu’il est toujours possible de répéter l’alternance des cultures sur une parcelle, on a avancé de nombreuses théories pour l’expliquer et la justifier. Certains ont émis l’hypothèse anthropomorphique qu’un certain repos, représenté par la jachère, serait nécessaire à la terre pour qu’elle se remette à produire. Mais, au contraire de l’explication qui suit, cela n’a pas été avéré.

Rappelons que toute récolte a pour conséquence une exportation d’éléments minéraux nutritifs hors des parcelles ; c’est pourquoi toute culture récoltée doit être considérée comme épuisante pour la terre. Toutes les sociétés qui ont pratiqué le soil mining ont vu les rendements des cultures s’étioler. Il est donc nécessaire de trouver des méthodes pour rapporter tout ou partie des exportations dues aux récoltes.

Les anciens agronomes ont scindé le monde végétal cultivé en plantes très épuisantes comme le blé, le colza et la betterave sucrière, et en plantes épuisantes, tels l’avoine et le sarrasin. Mais ils ont aussi indiqué l’existence de plantes améliorantes ou fertilisantes. Il s’agit de la luzerne, du trèfle, de la minette, du sainfoin, voire, dans les sols dont la fertilité est très limitée, de l’ajonc ; toutes ces légumineuses accroissent la teneur de l’azote dans les terres par fixation de l’azote de l’atmosphère : un sacré transfert ! Sans le savoir – car ils ne connaissaient pas encore l’azote, pas plus les nitrates que l’ammonium –, ils avaient compris qu’une substance (un « suc », selon l’expression d’alors) était le premier des carburants indispensables à la croissance des plantes. Mais ces plantes sont d’autant plus efficaces que la fertilité des terres est initialement élevée et propice au développement de cultures. Cela revient à faire le constat que les riches s’enrichissent plus vite que les pauvres, creusant les écarts… Dans tous les cas, il importait de placer dans la rotation une légumineuse.

C’est à l’abbé François Rozier que l’on doit d’avoir formalisé, en 1775, une observation fondamentale pour l’agronomie : « Les plantes puisent leur nourriture dans le sol à des profondeurs différentes suivant la manière de leurs racines. » De plus, les interactions biologiques entre organismes justifient la rotation et non la monoculture : relations plante plante, plante-microorganisme, plante-ravageur, et entre organismes du sol. Les mauvaises herbes peuvent prendre le dessus sur une espèce cultivée et, d’année en année, dominer sa culture. L’introduction d’une plante qui prendra le dessus sur la mauvaise herbe rompra le cercle. Il en est de même des multiples parasites, insectes ou pathogènes, champignons ou bactéries, qui ont une partie de leur cycle dans le sol ou les résidus de culture et une partie dans la plante. Le couple assolement-rotation diversifie aussi le paysage, ce qui peut favoriser les organismes utiles comme les pollinisateurs ou les prédateurs des ravageurs. En généralisant, on peut dire que la biodiversité générée par la rotation constitue un tampon contre l’émergence des maladies des cultures.

Source: Les sols ont-ils de la mémoire ? 80 clés pour comprendre les sols de Jérôme Balesdent, Etienne Dambrine, Jean-Claude Fardeau, paru aux éditions Quæ

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