Les nanoparticules au service de notre santé

En médecine, les nanoparticules ne jouent pas seulement les passe-murailles. Elles peuvent aussi se transformer en « minibombes » commandées à distance pour tuer justement la cellule cancéreuse. Une stratégie savamment mise au point qui commence tout juste à être utilisée.

La neutronthérapie

Dans le rôle de la nanoparticule qui se sacrifie en tuant la cellule cancéreuse, voici l’oxyde de gadolinium. La neutronthérapie utilise des neutrons thermiques1, de basse énergie et l’irradiation des cellules par ces neutrons-là est inoffensive. Sauf si la cellule contient des nanoparticules d’oxyde de gadolinium.

Ce dernier est un élément chimique qui fait partie des « terres rares », un groupe de métaux devenus célèbres depuis les dernières décennies du XXe siècle car ils entrent dans la construction de nombreux matériaux high tech. La perspective de leur pénurie a fait planer une menace sur la compétitivité industrielle de l’Europe, car le marché des terres rares est détenu à plus de 80 % par la Chine, au point où les instances européennes ont indexé les terres rares à une liste de « métaux stratégiques ».

L’élément gadolinium qui participe au traitement du cancer a été choisi pour ses performances nucléaires2. En effet, il s’agit du matériau qui absorbe le mieux les neutrons thermiques. De ce fait, si la cellule cancéreuse concentre de l’oxyde de gadolinium, alors elle absorbe une grande quantité de neutrons qui y délivrent leur énergie et la détruisent. Toute l’astuce est donc d’acheminer ces nanoparticules au sein des cellules tumorales.

Le tri sélectif au pays de Lilliput

Depuis que quelques nanoproduits se sont révélés les champions de la nanomédecine, il est devenu tentant de les examiner tous pour trouver celui qui peut être utilisé comme agent discret et efficace de la distribution de médicament. Les critères pour les sélectionner sont au nombre de trois : la nanoparticule ne doit pas être elle-même toxique, elle ne doit pas activer le système immunitaire au risque de se faire repérer et créer une foule d’effets indésirables, et enfin elle ne doit pas se faire phagocyter par les macrophages, ces cellules du système immunitaire, sans quoi elle disparaîtrait corps et bien avant même de livrer son précieux colis, sauf si les cellules cibles sont les macrophages eux-mêmes.

Il fallait donc faire passer à chaque nanoparticule toute une batterie de tests et l’évaluer dans des environnements différents : un programme sur plusieurs mois, long et fastidieux, vorace en budgets et personnels. Heureusement, les chercheurs de l’université de Genève et de Fribourg ont trouvé la solution3. Elle s’appelle la cytométrie en flux. Les deux équipes ont eu l’idée de mettre directement en contact une nanoparticule et des macrophages sous forme d’un flux, puis de compter les vainqueurs et les vaincus par fluorescence pour voir si le lilliputien sortait indemne de cette mise en danger.

Ainsi l’opération ne dure que deux à trois jours et épargne de plus la vie de souris. Cette méthode doit être adaptée à l’échelle industrielle. Désormais, comme les pièces d’un puzzle, les conditions d’utilisation fructueuse des nanoparticules se mettent en place. Aujourd’hui, une vingtaine de nanovecteurs sont en attente d’une autorisation de mise sur le marché au niveau européen. Aux États-Unis, c’est le double ! Une dizaine de nanovecteurs sont déjà utilisés et en train de soigner. Avec la méthode suisse, leur nombre va augmenter dans les prochaines années.

Nouvelle donne pour la médecine de demain

Les grandes compagnies pharmaceutiques sont toujours à la recherche de nouvelles molécules pour fabriquer des médicaments. La découverte d’un principe actif fait l’objet de brevets et suscite beaucoup d’espoir. Seulement, il ne s’agit là que du tout début d’un long processus qui peut dévier à tout moment. En effet, cette étape — la synthèse de la molécule à la base du médicament — revient à simplement détenir un paquet de sucre dans l’exercice culinaire et gastronomique évoqué au début de ce chapitre. De même que saupoudrer une seule framboise nécessite un outil particulier, l’acheminement du principe actif au sein de la cellule est indissociable de la mise au point d’un outil vecteur. Cela incite Patrick Couvreur à citer Saint Augustin, théologien du IVe siècle qui évoquait à propos de la charité : « la manière de donner est au moins aussi importante que ce que l’on donne » ! Ainsi, au fur et à mesure que les phénomènes complexes physicochimiques du vivant se précisent, le mode d’administration prend de plus en plus d’importance. Les nanoparticules ouvrent donc un champ nouveau, riche de promesses. D’abord, utiliser beaucoup moins de principe actif pour soigner, ce qui représente une économie de moyen mais aussi de toxicité. En effet, un médicament peut très vite se transformer en poison : tout dépend des doses administrées ! Tout est donc une affaire d’évaluation du rapport entre les bénéfices et le risque. Or, aujourd’hui, pour être efficaces, les molécules qui agissent contre le cancer doivent être administrées à de fortes doses, source d’effets secondaires indésirables. À des doses encore plus importantes, elles deviennent létales. Les nanoparticules permettent ainsi, en diminuant la quantité de principe actif, d’améliorer le fameux rapport bénéfice sur risque !

Néanmoins leur développement pour la santé présente de nouveaux défis qui ne sont pas d’ordre scientifique, mais au moins tout aussi importants pour la suite. Pour les concevoir, physiciens, chimistes, médecins, pharmaciens doivent travailler main dans la main. Cela suppose une transdisciplinarité nouvelle qui bouleverse les frontières actuelles entre les disciplines et les pratiques des professionnels de la santé.

Le neutron est un des composants du noyau atomique qui n’a pas de charge électrique.

2 www.cnrs.fr/cw/dossiers/dosnano/decouv/03/03_2_2/02.htm.
3 Mottas I. et al., 2017. A rapid screening method to evaluate the impact of nanoparticles on macrophages. Nanoscale.

Source : La Nanorévolution de Azar Khalatbari, avec Jacques Jupille, paru aux éditions Quæ

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