L’insecte qui a sauvé la vie à un entomologiste…

Une petite histoire d’entomologie…

N’ayant pas pu se présenter à temps pour prêter serment à la Constitution civile du clergé, d’après les exigences de la loi du 12 juillet 1790 de la Révolution française – et en dépit de démarches ultérieures –, l’abbé Pierre-André Latreille, naturaliste natif de Brive fut écroué le 8 novembre 1793 puis conduit en charrette jusqu’à Bordeaux, interné au séminaire, pour y passer le temps de la Terreur en attendant qu’un navire le déporte en Guyane. Dans la chambre qu’il occupait, un vieil évêque malade était soigné par un élève chirurgien. Un jour, tandis que ce dernier lui faisait un pansement, un petit insecte surgit d’une fente du plancher. Latreille s’en saisit, l’examina, puis le piqua avec une épingle sur un bouchon… Intrigué, le jeune élève lui demanda :
« Est-il donc si rare ?
— Oui ! répondit Latreille.
— En ce cas, vous devriez me le donner…
— Pourquoi ?
— Mais parce que je connais une personne qui a une belle collection et qui serait ravi de l’avoir.
— Et bien, prenez-le et priez-le de m’en dire le nom, répondit le prisonnier. »

Le collectionneur en question était le tout jeune Jean-Baptiste Bory de Saint-Vincent, distingué naturaliste, lequel connaissait et appréciait déjà les travaux de Latreille, et il décida alors de le faire libérer. Cela ne fut pas chose facile, et Bory dut compter sur la caution de son oncle, de son père, et du médecin Dargelas.

Dès l’instant où l’Administration accepta de libérer Latreille, Dargelas courut au port : le malheureux était déjà sur le pont, et Bory dut prendre un petit bateau pour atteindre le milieu de la rivière où l’on appareillait. Latreille lui fut enfin livré, et il put l’héberger chez lui. Trois jours après, on apprit que le navire avait fait naufrage au large de Cordouan, les marins s’étant sauvés sur la chaloupe du bord en abandonnant les malheureux ecclésiastiques.

C’est ainsi que Necrobia ruficollis, l’insecte concerné, est le sauveur de Latreille, d’où la notoriété de ce petit coléoptère. Cette espèce avait initialement été décrite dans le genre Dermeste, mais l’entomologiste Guillaume- Antoine Olivier a créé pour lui le genre Necrobia, littéralement « mort qui donne la vie » : allusion au fait que cette espèce qui vit dans les cadavres a en quelque sorte sauvé l’abbé Latreille.

Necrobia ruficollis Fabricius, 1775 (Cleridae) est un petit insecte presque insignifiant de 4 à 6,5 mm de long dont les élytres sont essentiellement noir bleuté métallique, quoique leur base, les pattes et le thorax soient brun roussâtre clair. Sa larve se nourrit de matières organiques desséchées, y compris de vieilles peaux, de cadavres momifiés, occasionnellement de fromage et de viande fumée.

Par la suite, Latreille eut un poste au tout nouveau Muséum de Paris et rédigea toute son oeuvre, dont en premier lieu le très renommé Précis des caractères génériques des insectes (en 1796) et sa notoriété fut telle qu’on l’a nommé le Prince de l’entomologie !

Visuel haut de page : Nécrobie dans le pain bis, tu as sauvé la vie à l’entomologie…. © Udo Schmidt (urjsa)/Flick’r

Source: Les insectes. Histoires insolites de Patrice Leraut, paru aux éditions Quæ

Insectes, histoires insolites

 

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